Je suis née à l’Ascension de Notre-Seigneur au Lac Saint-Jean le 19 mai 1919. Je suis la cinquième d’une famille de dix enfants: sept filles et trois garçons. J’ai grandi sur une ferme, dans le rang 7 ouest où mon père avait fait construire une belle grande maison confortable. J'avais ma chambre à moi seule et la maison était la plus belle de la paroisse. Notre ferme était la plus prospère de l'Ascension. Nous vivions heureux avec les produits de la terre.
Maman avait un beau grand jardin avec les meilleures variétés de légumes. Elle avait aussi de très jolies plates-bandes de fleurs. Elle cuisait le pain et nous aimions bien ses brioches et ses galettes à la mélasse. Mon père élevait des animaux de boucherie, des porcs, des boeufs, des moutons, des dindes, des poulets et des oies. On ne manquait de rien et nous étions en bonne santé. Notre père, en bon travailleur cultivait sa terre pendant la belle saison et quand arrivait l’hiver, il allait dans les chantiers pour être le directeur des travaux. Il était très aimé. Il nous manquait.
C’était un homme avec de grandes qualités, discret et dévoué qui trimait du matin au soir sans jamais se plaindre.
Ma mère était très généreuse. Que de fois je l’ai vue venir portant un grand sac rempli de choses très utiles pour ma famille. Souvent c’était un sac de galettes que les enfants aimaient bien. On pouvait y trouver des mitaines pour un et des bas pour un autre. Elle avait le don de deviner les besoins de chacun. Elle me tissait des couvertures pour couvrir ma famille. Un jour mon père me dit alors que j’étais bien jeune en m’asseyant sur lui ; « tu es ma plus belle des filles ». Vous comprenez que je fus très fière de ce compliment que je n’ai pas oublié.
Le moyen de transport lorsque j'étais jeune était la carriole avec des skis l'hiver que mon père remplaçait par des roues l'été et tirée par notre vaillant cheval. On avait des peaux de fourrures pour se tenir au chaud, bien collé les uns aux autres durant le trajet. Nous avons fait l'acquisition d'une automobile plus tard.
Comme journal nous recevions "La terre de chez nous" et "le Quotidien". Nous avions la radio et plus tard la télévision. Nous regardions "Un homme et son péché", "Les Plouffe", "Le Survenant", et "Les Beaux Dimanches".
Chez nous c'était le rendez-vous pour le chant et la musique. J'ai accompagné au piano
des chants durant des soirées entières avec un joueur d'accordéon et un qui jouait de la musique à bouche. Ma mère aussi jouait du piano et elle avait une très belle voix lorsqu'elle chantait. Il me manquait du temps pour mon amoureux, j'aimais tant jouer et faire chanter la compagnie.
Le souvenir le plus lointain de mon enfance remonte au grand plaisir de me rendre à l’école retrouver mes amies, et surtout d’avoir de bonnes notes. Un soir, j’étais à faire mes devoirs et je vois dans mon histoire sainte que la Sainte Vierge fut enceinte de Jésus; toute curieuse de savoir, je cherche le mot enceinte dans mon dictionnaire. Et celui-ci me dit enceinte=femme grosse, grosse femme. Je dis à ma mère; "comme Madame Donat". J’en avais trop dit, je reçois comme réponse un mauvais regard, pourtant, je ne m’étais pas trompée, Madame Donat mit au monde un bébé de douze livres. Notre éducation s
exuelle fut très limitée.
Dans mon adolescence j’avais une bonne amie qui portait le même nom que moi et quand j’avais la permission, j’allais la visiter. Les relations avec mes sœurs, ont été très bonnes avec mes plus jeunes sœurs, mais pas avec la plus âgée qui voulait tout conduire.
Si je vous disais que j’ai eu quatre amoureux dans ma vie de jeune fille... Parmi ceux là, le plus âgé voulait aller à l’évêché pour me marier, mais maman ne voulait pas en attendre parler.
Dès l’âge de quinze ans, je suis allée étudier à l’extérieur pour obtenir un diplôme en enseignement à l’École Normale de Roberval. Je remercie encore ma mère de s’être rendue à ma demande. Nous avons été cinq sœurs à étudier à c
ette institution, c’était remarquable à ce moment là.
Une période de ma vie qui fut passionnante fut d’enseigner par la suite même si les conditions n’étaient pas faciles.
En 1936, la classe n'était pas chauffée et je travaillais au prix de $15 par mois. Heureusement que le syndicat de l’enseignement s’est formé et nous a doublé notre salaire.

J’ai enseigné pendant quatre ans avant de me marier. En 1940 le 14 juillet eut lieu « La course au mariage » . En un seul jour sans aucune préparation matrimoniale, Clément et moi décidâmes de nous marier. Quelle aventure ! Bon nombre se rappelle de cette course alors que j’en ai déjà fait le récit et "les oranges de Fredo". Un an plus tard naquit mon petit Léonce aux yeux bleus, cheveux blonds et frisés. Il souffrait d’anémie, ce qui l’a fait mourir à trois ans. Ce fut une très grande douleur. Je repris l’enseignement encore un an pour me faciliter la vie et déménager à St-Jean Vianney. Un soir avec une amie nous assistions à une retraite fermée. Alors que j’écoutais le prédicateur nous prêcher les empêchements de famille. Je me suis reconnue coupable, j’ai mis le chapeau !!! Le pire fut de passer à confesse. J’ai eu beau vouloir me donner raison mais lui me dit que j’irais en enfer si je continuais ainsi. Et il ajoute; " tu dois accepter les enfants que Dieu te donnera".
Par la suite il a fallu agir autrement et que faire que d’accepter de faire des enfants. Pendant cette période de vingt ans, j’ai mis au monde douze enfants tous beaux qui furent mon bonheur, à cette époque pas d’électricité, pas de laveuse et surtout pas suffisamment d’argent pour subvenir au besoin de chacun. Mais je ne me sentais aucunement malheureuse. Chaque bébé qui débarquait était le plus beau et le plus fin et il était très
bien accueilli. Je fus heureuse de les voir tous grandir et prêts pour affronter la vie. J’aimerais vous parler de chacun d’eux tellement j’en aurais à dire, avec le programme de leur vie excitante et aventureuse. Enfin en 1950 on se construisit une maison, ce n’était pas trop tôt. J’étais à mon septième enfant. C’était Claire qui naissait en toute vitesse par les pieds s.v.p. Ma vie s’est partagée en quatre volets de 20 ans.

Mon premier volet fut mon enfance, mes études et mes années d’enseignement.

Le deuxième volet : ma famille et mes douze enfants, alors que leur père était au travail à l’extérieur, j’étais seule pour avoir soin de chacun.

Le troisième volet: je repre
nds l’enseignement de 1962 à 1982.Il a fallu alors que j’enseigne le jour et je suivais des cours du soir pour devenir apte au nouveau programme. En même temps voir à ne pas négliger ma famille. J’avais des enfants qui s’entraidaient. Même pendant mes vacances je suis allée à l’Université de Sherbrooke suivre des cours de français dynamiques qu’il fallait enseigner. C’est mon fils Gabriel qui me voyageait à son Université.

Le quatrième volet fut ma retraite d’enseignante en 1982, la même année que mon Clément prit la sienne. Nous avons fait de beaux voyages plus d’une fois en France rendre visite à notre fille Rachel. Par la suite je suis allée en Israël pour un séjour de trois semaines. Je me souviens avoir été gravement malade pendant ce voyage.

Clément et moi prenions plaisir à tisser de belles pièces au métier pour les offrir comme cadeau de Noël à chacun de nos enfants. Mes compagnes me trouvaient très chanceuse d’avoir un mari qui m’aidait autant. Nous faisions même des pièces à motifs d’une très grande valeur. Je fus présidente de mon cercle des Fermières, présidente de Dames de Sainte-Anne ce qui me permettait de sortir de la maison et m’extérioriser à ma juste valeur. Parlant de voyage, après le décès de Clément, je suis allée avec Claire et une autre fois avec ma sœur Jacqueline en Californie rendre visite à notre fille Martine qui s’est mise à notre entière disposition pour rendre heureux notre séjour avec elle. J’ai visité le Grand Canyon en hélicoptère. Ensuite tout le Nevada et l’Arizona. Quels bons souvenirs !

En 1990, e
ut lieu nos « Noces d’Or » comptant 337 présences. Ce fut une Fête grandiose avec un programme préparé par Gabriel l’aîné des garçons. Quel souvenir inoubliable! Alors que nous vivions une retraite en or notre Clément eut un cancer qui finit par le faire mourir le 16 août 1995. Ce fut pour nous tous une grande perte. Il me manque encore à chaque jour. Il me fit une promesse avant de partir qu’il serait avec moi tous les jours. Je sens sa présence. J'avais un mari exceptionnel à bien des points de vue. C'était un mécanicien hors pair, même s'il travaillait à l'extérieur de la région, il revenait voir sa famille à chaque fin de semaine. Il nous aimait bien. Pendant toutes ces longues années de labeur, pas un chèque de chômage ne nous est parvenu. Une fois à sa retraite, il s'impliquait à tout ce que je faisais. J'ai découvert qu'il adorait flatter...sa femme et...sa jeep. C'était aucunement un défaut.

En 1999 on me fit une belle fête surprise d’anniversaire pour mon 80e au Conservatoire de Montréal organisé par Réjean et Hélène. En présence de toute ma famille et d'autres invités. Une autre belle fête surprise m'attendait à mon 85 ième anniversaire alors que toute ma famille était présente, des cadeaux et une adresse venant de Claire et Raynald.


En 2000, j’ai eu la grosse peine de vendre ma maison, me défaire de ma Cléo, mon chalet, pour venir demeurer à Québec au Manrèse. J’ai fait un bon choix. Je continue à vivre pleinement en cet endroit. Nous avons des activités intéressantes, je me suis impliquée au piano du mardi soir. Je prends plaisir à être choriste afin de présenter le concert de Noël et celui de la fin d’année. Je me suis fait des amies. J’apprécie grandement qu’on ait de belles célébrations eucharistiques. Ma foi de baptisée est la source de joie dans ma vie de tous les jours. Je continue de recevoir ma famille dans le temps des Fêtes. Un autre malheur nous attendait par le décès de notre Rachel, le 5 décembre dernier en France, après une très longue maladie d’un cancer qui l’a fait mourir. Ce fut très difficile pour moi de n`être pas présente près d’elle. Heureusement qu’elle fut bien entourée par Hélène, Claude, Pascal et sa famille.

Dernier rassemblement familial eut lieu le 3 janvier dernier, alors que d’autres anniversaires furent célébrés. Une de mes grandes joies est de retourner à chaque saison estivale visiter mes deux sœurs au Lac St-Jean. Ce séjour me donne un regain de vie pour toute l’année. Je revois mes amis de L’Ascension dont je garde un très bon souvenir. C’est le cadeau d’anniversaire de ma sœur Madeleine de me recevoir et de me gâter. Pareil pour ma sœur Jacqueline. J’apprécie de laisser mon 9e pour toutes les promenades qu’on m’accorde.


Ce que j’apprécie aussi est de faire beaucoup d’ordinateur même la nuit quand je fais de l’insomnie. De recevoir du courriel de ceux qui sont éloignés, comme de mes deux marins au Honduras. Heureusement par ce moyen j’ai des nouvelles qui me rassurent. Chaque dimanche je me plais à chatter avec ma famille. Mes passe-temps préférés sont la lecture, le tricot et l’ordinateur. Aucune place pour l’ennui. Je remercie le ciel chaque jour de m’accorder une vie si bien remplie.


Le Souvenir est un récit fait de sourires et de sentiments, il est rempli de visages chers et familiers, et de rêves racontés pour partager. Il est aussi un album rempli d’œuvres rares. Des moments précieux gardés à jamais, dans les pages du cœur.


Je termine en donnant la parole à chacun de mes enfants qu'il me ferait un bien grand bonheur d’entendre. Eux aussi ont des souvenirs qui nous épateront j’en suis sûre.

Fernande